Télécharger le PDF Retour
Je marchais en direction du portail de l’école aux côtés d’une fille mignonne que je venais de rencontrer il y a une heure. Nous étions assez proches pour que nos épaules se touchent périodiquement, et nous en étions tous les deux conscients. J’imagine que l’on devait ressembler à ces presque-couples, trop effrayés de faire le premier pas—ou peut-être à un couple qui venait de se former. La fille dit alors, d’un ton un brin sérieux, — Euh… Merci pour ce que tu as fait. Tu m’as sauvé la mise. Tu es vraiment bon pour étudier n’est-ce pas, Chitose ? Une brise printanière tiède passa à ce moment-là, apportant avec elle l’effluve douce, sucrée et savonneuse de l’étudiante qui se tenait à mes côtés. — Ne t’inquiète pas pour ça. C’est ma politique de ne jamais refuser d’aider une fille qui me demande une faveur. Après l’école, j’avais été à la librairie pour préparer un examen, c’est alors qu’elle s’est assise près de moi, me lançant quelques regards furtifs. Puis, elle se tourna, et dit : — Hum, ça te dérangerait que je te pose une question ? Elle m’expliqua qu’elle butait sur quelques problèmes de mathématiques. L'emblème sur la veste de son uniforme était de la même couleur que le mien, indiquant qu’on était dans la même promo. J’étais donc familier avec les exercices et ai pu expliquer les réponses. — Mais tu étais en plein milieu de la session de révision, n’est-ce-pas ? Pourquoi as-tu perdu autant de temps à m’expliquer ? Après tout, nous ne nous sommes pourtant jamais parlés. Elle me jeta un rapide coup d’œil en coin alors que nous marchions côte à côte. — Et bien, tu as dis que tu m’offrirais un café. C’est un échange équitable. Apparemment cela ne l'avait pas convaincu. — Hmmmm… Si un autre étudiant t’avait offert le café, l’aurais-tu aidé de la même manière que tu l’as fait pour moi ? Je ne comprends pas. En fait, tu es toujours entouré de jolies filles, donc j’imagine que quelqu’un d’ordinaire comme moi passe sous le radar. — Nope. Si tu avais été un homme, un café n’aurait pas suffit. Il aurait dû m’offrir un bol de ramen s’il avait voulu mon aide. Je savais que ce n’était pas ce qu’elle voulait entendre. Je pensais m’être correctement occupé de la situation, mais je regardais à nouveau la fille, et voyant son visage déçu, je décidais d’ajouter quelques explications. — ... En fait, n’importe qui te regardant pourrait constater ta beauté. Et ton petit chouchou rose te va à merveille. Elle rougit de manière évidente. — Vraiment?! Eh, Chitose, tu sors avec quelqu’un en ce moment ? — Malheureusement non. Et toi ? — Uh, c’est compliqué… La fille hésita — Hey!!! Dans mon dos, quelqu’un me saisissa l’épaule, et me repoussa violemment , comme pour m’empêcher d’entendre la suite. — … Je trébuchai, mais parvint à retrouver l’équilibre, mes bras ballants alors que je me tournais. Il y avait un gars qui se tenait là. Je ne connaissais pas son nom. Il dépassait de loin mes 1m70, et il avait une coupe de cheveux étrange qui tenait en place avec du gel. Ses sourcils étaient rasés finement, et son uniforme qu’il avait modifié contraire au règlement, attirait immédiatement l’attention. Son visage n’avait rien de spécial, mais il avait l’aura cool que les filles devaient sans doute apprécier. Si on me demandait de le catégoriser comme populaire ou nerd, j’aurais sans aucun doute choisi la première option. — Bordel, tu penses faire quoi là ? Le gars était énervé pour je ne sais quelle raison. L’écusson sur sa veste indiquait qu’il était en terminale. — Hum, je comptais aller en rencard avec cette beauté après les cours. Qu’est que j’ai l’air de faire d’autre ? Je haussai les épaules, indifférent. Avant même que l’homme ait pu réagir, la fille cria : — C’est quoi ton problème ?! L’homme s’approcha d’elle, renfrogné, et clairement irrité. — Excuse-moi ? C’est quoi ton problème ? Tu as un copain ! Qu’est-ce que tu crois faire à sortir avec un autre gars ? C’est Saku Chitose tu sais, le première année. J’ai entendu dire qu’il touche à toutes les filles, si tu vois ce que je veux dire. Ce gars semblait en connaître un rayon sur moi, mais j’étais sûr de ne jamais l’avoir rencontré avant. Pour l’instant, on va l'appeler Musclor le Bloqueur. Alors que je gloussais en pensant à ça, la fille se rapprocha de lui. — Chitose m’a aidé à réviser, donc j’étais sur le point de lui acheter un café en retour. Quoi, je ne peux plus étudier avec d’autres personnes maintenant ? — Pas avec un gars comme lui ! Je viens de l’entendre dire à quel point tu es belle. Il dit ça à toutes les filles ! — Tu te cachais pour nous écouter ? Dégoûtant. Je décidais de surenchérir. — Aww, les gars! Pas besoin de se prendre le choux pour moi! — ... Tu te crois marrant ? Ca a bien foiré, maintenant la colère de Musclor le Bloqueur s'abattait sur moi. — Reste loin des meufs des autres, t’as compris ? Ah, on en arrive là… Je soufflais intérieurement. C’était évident qu’ils sortaient ensemble. Je ne sais pas si leur relation battait déjà de l’aile, ou si j’étais juste trop beau et charmant, mais la fille avait l’air intéressée par moi. Et Musclor le Bloqueur n’aimait pas ça. Il était clairement plus bas dans la hiérarchie que je ne le suis, et était à la limite du beau gosse. En tant que mec le plus populaire de l’école, des filles veulent sortir avec moi chaque jour. Autrement dit, il devait passer ses nerfs sur moi parce que j’avais envoûté sa copine. — Désolé mec, ma faute. Je savais pas qu’elle sortait avec toi. Et tu as raison, j’ai la mauvaise habitude d’appeler les femmes mignonnes. Mais, m’en veut pas, je ne dis que ce que je vois. Alors que je parlais, la rage se dessinait sur le visage de Musclor. La lycéenne me regarda furtivement, embarrassée. — C’est peut-être juste une proie parmi les autres pour toi, mais pour moi, elle compte beaucoup! C’est ma copine! Je ne te laisserai pas la traiter comme un jouet ou briser son coeur! Wow, quel chevalier blanc, accourant pour sauver sa demoiselle en détresse. C’était sans doute pas un mauvais gars. Même elle semblait impressionnée par son discours viril. Elle regardait son copain avec émerveillement. Maintenant, les gamins qui sortaient de l’école nous regardaient tous. Son copain se tenait là, proclamant publiquement ses sentiments embarrassants et intimes, au nom de la protection de sa copine contre un vil prédateur. Elle fut profondément touché par ce geste héroïque. Quelle splendide, quelle fraîcheur, quelle jeunesse, quel souffle printanier. Je décidais donc que je devais aussi me prêter au jeu. — Bien sûr j’adorerais régler ça avec toi, au bord de la rivière, mais je suis un amoureux, pas un castagneur. Cela dit, tu devrais faire plus attention. Si elle compte vraiment pour toi, prends-en mieux soin… pour éviter que des types comme moi ne lui tournent autour… Musclor me lança un regard noir et passa le bras autour des épaules de sa copine, comme pour dire qu’il n’avait pas besoin des conseils d’un type comme moi. La fille, elle, me regardait fixement. — Chitose… dit-elle tristement. Je tendis une perche. — Quant à toi, quand tu te lasseras de ce type, j’apporterai un peu de piment dans ta vie. On remet le café d’après les cours à plus tard, d’accord ? Je lui fis un clin d'œil discret, et Musclor me balança son sac. — Va te faire, mec. — Oh, tu fais peur. Je déviais son sac facilement, et je me dirigeais désinvolte vers le portail de l’établissement. Je leur souhaite le meilleur. Enfin j’imagine ? Tout ce que j’ai fait c’est d’aider une fille qui m’a demandé de l’aide. Ce n’est pas de ma faute si elle a fini par tomber amoureuse. Et son mec a fini par me faire passer pour le méchant. Eh beh, ce genre de choses arrive tout le temps. Le ciel était d’un bleu immaculé. Le soleil rayonnait, annonçant la fin de l’hiver et l’arrivée du printemps. La brise froide était agréable, même si elle était pleine de poussières du terrain de sport. Quelqu’un qui tombait amoureux de moi, et quelqu’un d’autre qui m’en voulait. Ouep, tout se passe comme il se doit.